même sous l’écorce des bouleaux la vie se perd en hypothèses sanglantes
où les pics picorent des astres et les renards éternuent des échos insulaires
mais de quelles profondeurs surgissent ces flocons d’âmes damnées
qui grisent les étangs de leur chaude paresse
est-ce le cygne qui gargarise son blanc d’eau
blanc est le reflet dont la vapeur se joue sur le frisson de l’otarie
dehors est blanc
une éclaircie chantante d’ailes absorbe le mistral dans sa corolle de paon
que l’arc-en-ciel décloue de la croix du souvenir
frottant les dents du ciel battant le linge à la rivière
tourbillonnent les moulins blancs
parmi les flocons d’âme que fument les opiomanes à l’ombre des éperviers
la bouche serrée entre deux nouvelles contraires s’agrippe
comme le monde imprévue entre ses mâchoires
et le son sec se casse contre la vitre
car jamais parole n’a franchi le seuil des corps
mort est l’élan qui faisait bouillir le mauvais temps
dans les récipients des pauvres hideuses têtes nos voisines
et malgré la bourbe citadine de nos sentiments
dehors est blanc
qu’importe le dégoût puisque notre force est plus ininflammable que la mort
et son ardeur ne détruira ni nos couleurs ni nos amours
coquillages et moellons stratifiés dans des étages de proverbes
le sens est le seul feu invisible qui nous consume
depuis l’origine du premier chiffre
les aviculteurs parlent un langage simple
formé d’un alphabet d’oiseaux aux blancs dehors
blanc est le doigt que les penseurs ont tant frotté contre leur tempe
nous ne sommes pas des penseurs
nous sommes faits de miroirs et d’air
et quand même insatisfaits obscurs moroses imperméables
les dents de scie qui ornent notre front voisinent avec la mort
et sautent aux yeux d’une chose à l’autre tout le long du dictionnaire
frottant les dents du ciel battant le linge à la rivière
vomi des blanches crêtes le brouillard se coagule parmi nous
et bientôt serons-nous pris dans la matière dense et boueuse
bientôt serons-nous absorbés par la spongieuse léthargie du fer
qui dépasse de la longueur d’une douloureuse litanie la bière et le mensonge
surgi de quel glacier mordant dont le blanc dehors gargarisme de nuage
suce aux racines de nos iris le miel des siècles à venir
©Jean-Marc MUSIAL, ©Un dessin une nuit pour l’image
A propos de TZARA, lisons Hubert Juin de la NRF :
« On a dit que Dada débouchait sur le « néant ». C’est mal voir et comprendre Dada en même temps que Tzara : le mouvement et les ouvres établissent le « chaos ». Devant un monde dont l’ordre était inacceptable, il fallait dresser les leçons de l’extrême désordre. Cela se fit, par Tzara, de Zurich à Saint-Julien-le-Pauvre. Ce que Tristan Tzara, venu de Roumanie, avait dans le cour lors des premières manifestations du cabaret Voltaire, et qu’il conservera jusqu’à la fin sous la tente à oxygène, c’est la volonté d’une écriture capable de ne plus mentir : nous avons déplacé les notions et confondu leurs vêtements avec leurs noms aveugles sont les mots qui ne savent retrouver que leur place dès leur naissance leur rang grammatical dans l’universelle sécurité bien maigre est le feu que nous crûmes voir couver en eux dans nos poumons et terne est la lueur prédestinée de ce qu’ils disent… ces vers qui sont dans L’Homme approximatif soulignent à merveille ce long effort, cette ascèse, ce renfermement de deux années, bref, la vocation, la destination et la signification de ce poème ininterrompu. Il est juste de marquer que ce chef-d’œuvre – si l’on veut à toute force mettre des étiquettes périssables sur des événements qui ne le sont pas – est chef-d’œuvre, manifestement, du surréalisme. Cette affirmation juste est cependant une constatation fort banale. Je m’explique : dans ce tournant qui va de Dada au surréalisme, il n’y a pas, chez Tristan Tzara, rupture ou déchirement. Les mille anecdotes de la petite histoire littéraire (et qui ont leur importance) auraient tendance à nous cacher l’essentiel, qui est que Tzara, obéissant à cette logique supérieure qui n’est plus la logique commune, à cette raison autre qui n’est plus captive des infortunes du rationalisme étroit, poursuit – beaucoup plus solitaire que les documents ne le donnent à penser -, sa propre route. Il vient, hier, de tordre le cou à l’écriture, de la briser comme une canne en cent éclats sur son genou. Il a démontré les impostures du langage, les ridicules du poème, les vanités de l’apparat critique. Voilà qui est fait. La page est enfin blanche, et tellement qu’elle n’est plus une feuille de papier, mais une feuille d’arbre, un arbre, une main, une femme, un oiseau, la nuit. On écrit avec tout sur tout, voici la leçon. C’est alors, et dans ce temps, que Tzara se met à L’Homme approximatif, inventant l’écriture dans une autre langue que celle dont nous sommes couverts… » Hubert Juin.
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