Journal d’un inconscient
J’étais un petit garçon. Jusqu’à l’immanquable jour où je suis devenu un grand garçon. Ça changeait tout. Hé• las pour moi, de ce jour je ne garde aucun souvenir. Plus tard et à ma grande surprise, j’ai appris en avoir presque fini avec l’adolescence. Quant à l’homme dont on m’ habille, celui-là j’en ai bien entendu parler, sans jamais arriver à le saisir en moi. Sauf que pour avoir une idée de quelque chose d’aussi grave, il faut s’y reconnaitre. Or, je m’y perds complètement, moi. Comment voulez-vous que, privé de toute enfance par les adultes,je voue un appétit à ce qu’on appelle la raison? L’âge de raison, je l’ai atteint le jour où j’ai mis le feu à mon école pour I a première fois. Personne ne m’en a félicité, d’ailleurs. Ils ont préféré fermer les yeux. À croire que la flamme brûle moins une fois les yeux fermés. Voilà. Les histoires des adultes dont j’avais entendu parler. Ils savent faire des films. Des guerres. Et des enfants pour remplacer ceux qui y vont en fermant les yeux. ceux qui y meurent sans avoir eu le temps de dire merde. Pour tous ceux-là, je dis merde à tous les adultes que je n’ai pas l’extrême douleur de connaître. Et les autres. Un peu pour moi aussi c’est vrai. Je suis un bon élève de la vie. Mettre le feu à l’école n’était peut-être pas une excellente idée. Mais je dirai pour ma défense que personne n’a voulu m’aider à obtenir pour l’enfance quelques sièges au Parlement. Il est aussi à no• ter que, récidiviste et ne m’étant jamais fait surprendre, j’ai toujours accompli mes ouvres pour l’Enfance Libre dans la plus grande discrétion et le moins de sérieux possible. Je choisissais pour épicentre de mon brasier les en• droits où seules les grandes personnes avaient le droit de se rendre. Salles de professeurs, bureaux, etc. Ma seule erreur fut de sous-estimer l’adulte. L’adulte a des moyens de contrôle sur beaucoup de choses, dont l’enfance et le feu. Les deux sont dangereux pour l’adulte. De telle sor• te que je n’ai jamais réussi à en tuer un seul. Même pas un tout petit. J’ai également appris que l’adulte est un redoutable spécimen de prédateur. L’adulte mange ses enfants par l’enfance aussi inexorablement qu’un virus détruit nos défenses. L’enfant est un univers de sens et de métamorphose. L’adulte, lui, aussitôt sacré Roi de sa peine, est incapable du moindre mouvement. Il traverse le monde en avion mais il est également inapte à percevoir les mille et-une-forêts qui peuplent les chambres d’enfant.
Voilà l’adulte : un sac de racines !
Le soleil ne fait pas d’ombre à sa lumière. [I fait jour. Il fait le jour. La nuit, il brille par son absence. Il brille encore. De toutes façons, qui écoute les enfants ici?
Alors, à quoi bon éteindre mes feux.?
Texte d’IVICA HENIN, image de Guillaume HOOGVELD, publié en 1999 à la LGR, rue racine, Paris.
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