“Cette bombe découlant de l’instantanéité des moyens de communication, et notamment de la transmission de l’information, a un rôle éminent dans l’établissement de la peur au rang d’environnement global puisqu’elle permet la synchronisation de l’émotion à l’échelle mondiale. Grâce à la vitesse absolue des ondes, on peut ressentir dans tous les endroits du monde le même sentiment de terreur, au même moment. Cette bombe n’est pas locale, elle explose à chaque instant, à propos d’un attentat, d’une catastrophe naturelle, d’une panique sanitaire, d’une rumeur maligne… elle crée une véritable communauté des émotions, un communisme des affects succédant au communisme de la “communauté des intérêts” partagés par les différentes classes sociales. Avec la révolution industrielle de la seconde moitié du 19e siècle en effet, a prospéré la démocratie d’opinion, qui s’est appuyée sur la presse du même nom, puis sur les médias de masse, la presse, la radio et la télévision. Ce 1er régime était celui de la standardisation des produits et des opinions. Le second régime actuel est celui de la synchronisation des émotions, assurant le passage de la démocratie d’opinion à la démocratie d’émotion. Et cela pour le meilleur comme pour le pire. pour le meilleur, on songe aux élans de générosité qui font suit aux catastrophes de toute nature ; pour le pire aussi, avec la terreur instantanée que suscite un attentat ou une pandémie et la politique court-termiste qui en constitue la réponse (…)
Avec les phénomènes d’interactivité instantanés qui sont désormais notre lot quotidien, a lieu un véritable bouleversement qui déstabilise le rapport à l’activité des hommes entre eux, dans le délai qui est celui de la réflexion, et cela au profit du réflexe conditionné à quoi l’émotion conduit. D’où la possibilité théorique d’une panique généralisée. Voilà la seconde grande déflagration du rapport au réel.
La déréalisation est le résultat du progrès, ni plus ni moins. La mise en avant de la réalité augmentée qui est la vulgate rituelle de la propagande du progrès, n’est en fait qu’une déréalisation induite par la réussite du progrès dans l’ordre de l’accélération. Cet accroissement continu de la vitesse a entrainé le développement d’une mégaloscopie qui a conduit à une véritable infirmité puisqu’elle réduit le champ de vision. Plus on va vite, plus on se projette au loin pour anticiper et plus on perd la latérisation. les écrans sont l’équivalent d’un pare-brise de voiture : nous perdons , avec la vitesse, le sens de la latérisation, ce qui est un élément de l’infirmité de l’être au monde, de sa richesse, de son relief, de sa profondeur de champ. On crée des lunettes pour voir en trois dimensions, alors que nous sommes en train de perdre la latérisation, la stéréo-réalité naturelle. La réalité augmentée est donc selon moi un jeu de dupes, un véritable glaucome télévisuel. L’écran est devenu une cécité. »
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