Zénith
C’était si bien le jardin aux yeux verts
Les portes ouvertes de la beauté
Le tremblement de la main de l’amour
Et l’espoir d’arriver à temps pour l’orage
C’était si bien le chemin dessiné
Avec le doigt sur la paume
Les lignes de vie, le signe du sourire
La profondeur de l’aiguille aimantée
C’était si bien dans le soleil un accident
D’oiseaux, le bruit aérien de la laine
Les tissus froissés, les ventres dénudés
Les plumes du génie de ta voix
C’était si bien la grandeur de la nuit
L’écriture rapide de nos spasmes
La prosodie du plaisir, fléchissant,
Remontant, le feu, le feu, le feu
C’était si bien nos enfants courant sur le lit
Le bruit de la clé dans la porte
Et le visage qui se relève et le choc
Sans fin du retour de l’éternité.
(30 août)
Contre-poison
Je suis avec toi dans le temps
Enroulés dans nos couvertures
Tu dors loin de moi et j’attends
Les longs doigts de la ville endormie
Redessinent tes yeux fermés
Je suis dans la cité du rêve
La montre bleue et l’écran noir
Le téléphone absent, le café dans la tasse
Les heures claires de la nuit
Plein de choses me manquent mais toi
Tu ne manques pas, tu me troues
Je sens le fruit de la douleur
S’ouvrir en deux entre tes paumes
Le suc délicieux et vivant
Coule sur ton poignet de velours
Petite vasque où je bois à genoux
Tu es glacée et ta lente salive
Pénètre les réseaux et les cordes
De mon corps nu, vibrant
Tous les bonheurs de la lumière sont venus
Par le philtre de ton regard
Ton rire vit en moi
Ta peau peinte avec le pinceau
Du matin – est ma lampe.
Faire-part
Ta main lisse posée sur le ventre
Ta douceur transformée en griffes
Tu montes en arrière dans la langue
Tu tournes la tête et tu chantes
Ta beauté de monstre savant éclate
Le feu crépite dans mes veines.
Je meurs
Je vois tes yeux de soufre et de salpêtre
Le jeu du tourbillon qui troue le plafond
Le ciel devient panique
L’été brûle les dernières fleurs
Je suis entré dans la douleur
J’attends la fin du jour, l’œil crevé
Le cyclope de la tempête
J’attends le vin et la froideur
L’amour a plus d’un tour
Pour nous briser le cœur
Je n’ai jamais été joueur
Je suis entré dans la douleur
Je dessine dans l’air ton visage
J’entends le chant de ta voix,
Le bonheur que tu m’as donné
Que tu m’as repris
Et qui reviendra un jour
Sans moi.
22 juillet
Tu es là
Tu es là, avec les yeux tournés vers la lumière
Je vois ta nuque, tes épaules rondes et nacrées
Et je vois le reflet de ton regard dans la trouée
Des nuages et dans le masque du soleil.
Je tire à moi l’espace en respirant entre mes poings
Je tourne dans un grand vent de papier qui se lève
Je gagne les régions mathématiques du rêve
Je dors debout en jouissant entre tes reins
Je parle dans la nuit sans prononcer un mot
Personne ne se doute des mots de mon silence
Je déconnecte tous les appareils de voyance
Je suis mort n’importe où et je vis dans tes bras
La signature de ton sang sur le bleu des draps
Où la main de l’artiste infléchit les jambages
Révèle la blancheur de la première page
Tu écris en saignant le roman de ta voix.
LUC DELLISSE 2011 ©
Luc Dellisse, écrivain et poète. Il enseigne à la Sorbonne et à l’Université de Bruxelles, a déjà publié aux Impressions nouvelles trois romans : Le Jugement dernier, Le Testament belge et Le Professeur de scénario,
La poésie est son cheval de Troie : grâce à elle, il pénètre sur des planètes inconnues. Mais c’est un rythme lent, souterrain. Les poèmes présentés ici sont issus de « Ciel ouvert« son prochain recueil, à paraître en 2012, qui rassemble des créations depuis 2005.
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